Quand le khalig El-Masri traversait la ville du Caire (2)

Jeudi 19 Novembre 2020-00:00:00
' Père Gérard Viaud

La presse égyptienne du 13 septembre avait souligné ce qui suit au sujet de cet ancien canal du Caire. Après la suppression du khalig comme canal, mesure à laquelle il y a lieu de féliciter le gouvernement à cause de l’assainissement énorme qui en résulte pour le plus grand bien de la santé publique, la compagnie des tramways du Caire a conclu avec le gouvernement une convention pour la transformation du parcours suivi par le khalig en une ligne de tramways. La longueur totale sera de 6 kilomètres 500, mais seulement 5 kilomètres 400 seront exploités. On a déjà commencé à combler le canal du pont de Ghamra vers Daher et dans la direction opposée de Fom El-Khalig vers le pont de Darb El-Gamamis. Ces deux points ont été presque atteints de sorte qu’il ne reste plus à combler que la distance comprise entre le pont de Darb El-Gamamis et Daher pour que le travail soit achevé, ce qui sera réalisé au mois de janvier prochain. Quand la ligne de tramways sera achevée, les communications seront assurées d’Abbasseïa au Daher et de la Citadelle au Fom El-Khalig. 

Quelle fut l’origine de ce khalig El-Masri? 

Pour le géographe Strabon, ce serait le pharaon Sésostris (1980-1935 avant Jésus-Christ) de la XIIème dynastie qui fit creuser un canal entre le Nil et les lacs Amers en passant par le ouadi Toumilat, ce que Pline affirma de son côté, un historien de la même époque. 

Peu avant 600 avant Jésus-Christ, le pharaon Néchao II le Psamétique (609-594) de la XXVIème dynastie saïte décida de recreuser ce canal pour joindre le Nil à la mer Rouge à travers le ouadi Toumilat. Cette voie navigable fut très bénéfique pour le commerce de l’Egypte. Ce fut le canal de l’Est qui partait de la branche bubastique du Nil un peu au nord de Bubaste (près de Zagazig) et rejoignait le ouadi Toumilat pour continuer à travers les lacs Timsah et Amers jusqu’au golfe de Suez. 

Vers 500 avant Jésus-Christ, le Perse Darius 1er fit élargir ce canal si bien, qu’aux dires d‘Hérodote, deux trirèmes pouvaient naviguer dans ce canal côte à côte et sa longueur était de quatre jours de navigation. Ce canal permettait aux Perses de transporter les taxes prélevées en Egypte et le personnel civil et militaire jusqu’en Mésopotamie par le Golfe de Suez et l’océan Indien. Vers 270 avant Jésus-Christ, Ptolémée II fit recreuser le canal qui avait été ensablé après 400 avant Jésus-Christ. 

Diodore de Sicile, au 1er siècle avant Jésus-Christ, rapporta que le roi Ptolémée II fit aménager ce canal avec des travaux d’art afin de permettre une meilleurs navigation en tenant toujours les eaux assez hautes pour les navires de tonnage relativement important. 

Plus tard, l’empereur romain Trajan (53-117 après Jésus-Christ) fit recreuser ce canal dans sa partie proche du Nil. Ce même canal se fit appeler khalig El-Masri, ou khalig El-Kahira, après la fondation du Caire au Xème siècle, jusqu’au jour où le calife El-Hakim lui donna son nom. La partie de ce canal fut encore appelée khalig El-Louloua, le canal de la perle, tellement les eaux étaient belles et vertes. 

En 1854, alors que Ferdinand de Lesseps obtenait le firman l’autorisant à créer la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, le vice-roi d’Egypte Mohamed Saïd projeta de creuser un canal d’eau douce pour relier le Nil à la future zone du Canal. Ce canal devait avoir sa prise à Boulac, passerait par Belbeis et Ouadi Toumilat pour aller rejoindre le lac Timsah. 

Ce canal d’eau douce fut creusé par la suite et l’eau du Nil arriva dans le lac Timsah le 2 février 1862, permettant ainsi la création de la ville d’Ismaïlia. L’ancien parcours du canal avait été en grande partie repris. 

Toutefois la section du canal El-Masri, située entre le Nil, au sud du Caire, et Daher, ne fut pas inclue dans ce nouveau canal qui commençait un peu au nord de Boulac. Mais le nouveau canal continua à emprunter le ouadi Toumilat. 

Avant 1896, la coupure de la digue du khalig El-Masri était l’occasion de grandes fêtes au Caire. Cette coupure de la digue permettait aux eaux du Nil de pénétrer dans le canal qui était resté sec une grande partie de l’été. 

Ce jour-là, dès que le canal était rempli, des barques décorées de feuillage voguaient sur ses eaux portant des musiciens et des chanteurs. Les Cairotes portaient leurs enfants nouveau-nés sur ses rives. Ils les dépouillaient de leurs vêtements et les plongeaient dans les eaux du canal. Les vêtements étaient jetés dans les eaux et les enfants habillés de neuf. Cette tradition cairote permettait d’éloigner les mauvais sorts des enfants et les maléfices tout en assurant aux nouveau-nés une vie longue et prospère. 

Cette rupture de la digue du khalig se faisait toujours en présence des souverains, ou de leurs représentants, et étaient l’occasion de grandes fêtes. C’était la foire du khalig avec ses nombreuses attractions. 

Tout au long de l’année, les rives du khalig El-Masri étaient l’un des rendez-vous des habitants du Caire. Ils se promenaient en barques sur le canal ou s’installaient aux terrasses des nombreux cafés abrités sous des tonnelles. Parlant de ces cafés, l’écrivain français Gustave Flaubert écrit dans son « Voyage en Orient » (Paris 1860, volume 1, page 113) : « Regardez les cafés du khalig, l’eau verte qui reflète avec amour les costumes bigarrés des fumeurs..». 

Les travaux de comblement du khalig El-Masri ont été achevés il y a quelques jours et la compagnie des tramways électriques du Caire se propose d’établir une ligne à son emplacement. Les expropriations des terrains qui se trouvaient sur les deux berges du canal sont aussi achevées. La largeur de la rue est de 20 mètres. Six mètres seront réservés à la ligne de tramways et 14 mètres pour tracer un superbe boulevard.